J’ai longtemps rêvé de cette mer de fumée. Je l’ai imaginée, fantasmée, idéalisée, cette mer. Aujourd’hui, cette mer bien réelle va devenir tangible et se confronter avec mes images. Aujourd’hui, je dois me rendre sur Asaïé.
Ce matin, je me retrouve donc devant cette mer dont j’entendais les récits sans jamais réellement pouvoir y croire. Cette mer se traverse à pied. J’étais équipé pour ce voyage : des chaussures chaudes pour me protéger de la pierre froide, une combinaison imperméable pour traverser la fumée liquide.
On m’avait prévenu qu’il était difficile de se repérer dans cette mer et qu’il fallait se déplacer en suivant les notes aigües. Je pensais être préparé. Je ne l’étais pas. Personne ne peut l’être.
À peine mes pieds étaient-ils entrés en contact avec la pierre glaciale que je me retrouvais enveloppé, assailli par cette fumée blanche, épaisse, au point de ne voir plus qu’elle. Le seul bruit qui parvenait à mes oreilles était le chant émis par cette fumée, un chant à la fois aigüe et grave, juste et faux, doux et brutal. Emerveillé, épouvanté, seul, je me laissais porter par les sons, oubliant même jusqu’à ma mission, ma vie, ma propre existence. Je n’avais conscience que de cette fumée douce que je buvais avidement à m’en écœurer. Je ne pouvais faire autrement. J’étais devenu fumée, eau, pierre, musique. J’étais devenu la mer. Je repris conscience lorsque mon pied heurta une pierre argileuse, chaude. Ainsi, de la même manière que j’y étais entré, inconscient, j’en étais sorti. La mer ne m’avait pas eu. J’étais arrivé à Asaïé.