La mort des amants

ristan […] enfermé loin du rivage, […] pleurait pour Iseut qui ne venait pas. Dolent et las, il se plaint, soupire, s’agite ; peu s’en faut qu’il ne meure de son désir.
Enfin, le vent fraîchit et la voile blanche apparut. Alors, Iseut aux Blanches Mains se vengea. Elle vient vers le lit de Tristan et dit :
« Ami, Kaherdin arrive. J’ai vu sa nef en mer : elle avance à grand’peine ; pourtant je l’ai reconnue ; puisse-t-il apporter ce qui doit vous guérir ! »
Tristan tressaille :
« Amie belle, vous êtes sûre que c’est sa nef ? Or, dites-moi comment est la voile.
— Je l’ai bien vue, ils l’ont ouverte et dressée très haut, car ils ont peu de vent. Sachez qu’elle est toute noire. »

Tristan se tourna vers la muraille et dit :
« Je ne puis retenir ma vie plus longtemps. » Il dit trois fois : « Iseut, amie ! » À la quatrième, il rendit l’âme.
Alors, par la maison, pleurèrent les chevaliers, les compagnons de Tristan. Ils l’ôtèrent de son lit, l’étendirent sur un riche tapis et recouvrirent son corps d’un linceul.
Sur la mer, le vent s’était levé et frappait la voile en plein milieu. Il poussa la nef jusqu’à terre. Iseut la Blonde débarqua. Elle entendit de grandes plaintes par les rues, et les cloches sonner aux moutiers, aux chapelles. Elle demanda aux gens du pays pourquoi ces glas, pourquoi ces pleurs.
Un vieillard lui dit :
« Dame, nous avons une grande douleur. Tristan le franc, le preux, est mort. Il était large aux besogneux, secourable aux souffrants. C’est le pire désastre qui soit jamais tombé sur ce pays. » Iseut l’entend, elle ne peut dire une parole. Elle monte vers le palais. Elle suit la rue, sa guimpe déliée. Les Bretons s’émerveillaient à la regarder ; jamais ils n’avaient vu femme d’une telle beauté. Qui est-elle ? D’où vient-elle ?
Auprès de Tristan, Iseut aux Blanches Mains, affolée par le mal qu’elle avait causé, poussait de grands cris sur le cadavre. L’autre Iseut entra et lui dit :
« Dame, relevez-vous, et laissez-moi approcher. J’ai plus de droits à le pleurer que vous, croyez-m’en. Je l’ai plus aimé. »
Elle se tourna vers l’orient et pria Dieu. Puis elle découvrit un peu le corps, s’étendit près de lui, tout le long de son ami, lui baisa la bouche et la face, et le serra étroitement : corps contre corps, bouche contre bouche, elle rend ainsi son âme ; elle mourut auprès de lui pour la douleur de son ami.